Au cœur de la « Czarny Protest »

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Adèle Van Torhoudt, étudiante en M1 d’études européennes à la Sorbonne Nouvelle, vient de partir en Erasmus à Varsovie. Au coeur de la capitale polonaise, elle a pris part à la Czarny Protest, mouvement de défense des Droits des femmes, alors même que le gouvernement conservateur et eurosceptique veut limiter la loi qui donne accès à l’avortement, déjà l’une des lois les plus dure d’Europe.

Voilà un mois que je suis arrivée à Varsovie. La première chose que j’y ai vu, c’est le Palais de la Culture et des Sciences, ce « cadeau de Staline » à la capitale polonaise. Un vestige soviétique au milieu d’un centreville ultra-moderne avec des grattes-ciels, un métro tout neuf, et un centre commercial dernier cri. Par rapport à Paris, Varsovie, reconstruite après la guerre, est une ville moderne. On pourrait croire que le gouvernement polonais, à l’image de sa capitale, est moderne et progressiste. En réalité, PiS (Prawo i Sprawiedliwość, Droit et Justice en Français), au pouvoir depuis 2015, est un parti d’idéologie conservatrice et eurosceptique. À l’échelle de l’Union européenne, Pis est membre de l’Alliance des conservateurs et réformistes européens. Comme de nombreux gouvernements et partis politiques européens, le gouvernement polonais est assez « border-line » quant au respect des valeurs européennes. La preuve : le projet de lois visant à interdire complètement l’avortement qui devait être débattu le jeudi 29 septembre 2016 au Parlement.

L’avortement, une épine dans le pied de la Pologne

Non, ce n’est pas un cliché ! (j’ai eu l’occasion de visiter plusieurs églises à Varsovie, il y a des messes plusieurs fois par jour ; et un quart des supporters du Marathon de Varsovie étaient des religieuses et des prêtres). L’Église est très présente au quotidien et a une influence réelle en politique. Un exemple typique et polémique : l’avortement.

Depuis 1993, l’avortement n’est autorisé que dans trois circonstances : grossesses résultant d’un acte illégal, risque pour la vie ou la santé de la femme enceinte, malformation du fœtus. Il est souvent difficile pour les femmes de faire valoir leur droit à l’avortement, le nombre d’interruptions de grossesses pratiquées chaque année dans le cadre légal se limite à quelques centaines. Nombreuses sont les femmes se faisant avorter à l’étranger, ou dans des cliniques clandestines – si ce n’est pas seules à l’aide de pilules issues du marché noir.

Ces derniers temps, la polémique autour du droit à l’avortement s’est intensifiée. Une partie de la population polonaise réclame une libéralisation de l’IVG, une autre souhaite une législation plus stricte voire une interdiction totale. À l’image de cette division de l’opinion publique, deux groupes de députés polonais ont déposé deux textes de lois au Parlement en avril 2016. Le premier appelait à une libéralisation de l’IVG, et a été écarté par le gouvernement. Le second appelait à une législation plus stricte. C’est sur celui-ci que le gouvernement a choisi de travailler. Même si le gouvernement a annoncé qu’il laissait tomber ce projet, les organisations polonaises continuent de faire pression sur le gouvernement qui risque de revenir sur sa décision à tout moment.

Tous en noir, tous concernés

Cependant, une très grande partie de la population polonaise ne l’entendait pas de cette oreille. Du samedi 1er octobre au lundi 3 octobre, plusieurs manifestations ont eu lieu. J’étais présente à celle du lundi. Le mot d’ordre : tout le monde vêtu de noir – « czarny » signifie noir en Polonais. C’était très émouvant de voir ces milliers de personnes (beaucoup de femmes mais pas seulement !) déambuler dans la rue, à la fac, dans les supermarchés en tenue de deuil. Ce jour-là, même le ciel était noir. Alors qu’il était bleu la veille et le lendemain. Une grève générale, domestique, du travail, et même du sexe était de vigueur pour les femmes. Mon université nous a excusés, nous avions le droit de ne pas aller en cours pour pouvoir manifester. De toute façon la plupart des enseignants faisaient grève. Je suis arrivée sur la Plac Zamkowy, dans la vieille ville, une heure avant le début de la manifestation, et la place était déjà bondée. Je devais retrouver une amie que je n’ai jamais trouvée tellement il y avait de monde !

J’ai fait beaucoup de manifestations durant ma courte vie, mais celle-là était particulièrement impressionnante, et émouvante. Les gens étaient très calmes, heureux de constater que cette cause touche autant de personnes. J’ai été choquée par la présence d’un groupe de 6 personnes portant des banderoles soi-disant « pro-life », qui se sont réfugiées aux pieds de la statue de Sigismund (un monument symbolique, Sigismund est le roi ayant fait de Varsovie la capitale de la Pologne. Elle se situe au cœur de la vieille ville, en face du Palais royal), au centre de la place. Une vague de manifestants s’est mis à les huer, mais un groupe de policiers les a encerclés pour les protéger. Ils sont restés plantés là pendant toute la manif, bloqués et hués. Finalement, une grande partie des manifestants ont traversé la ville pour se diriger vers le Parlement, devant lequel nous sommes restés plus d’une heure. La police est venue disperser la foule. J’ai rencontré des gens poignants : une vieille dame qui n’en revenait pas de devoir se battre de nouveau à propos de cette question ; une nonne avec son vêtement blanc et bleu de religieuse qui était désolée de n’avoir pu s’habiller en noir pour témoigner son soutien…

Il est intéressant de savoir que pendant que nous étions sous la pluie vêtus de noir pour défendre nos droits, certains Polonais se sont retrouvés dans une Église près de Stare Miasto (la vieille ville), tous vêtus de blanc – symbole de pureté bien sûr – afin de participer à une messe en soutien au gouvernement.

J’ai été impressionnée par le calme des manifestants (pas de casse, et assez peu de forces de l’ordre!), par la tension et l’émotion qui régnaient dans les rangs de la manifestation. Les personnes présentes étaient vraiment en colère contre le gouvernement, et très unies pour défendre cette cause. J’ai été touchée par les remerciements de nombreux polonais qui étaient visiblement ravis de voir que des étrangers les soutenaient. Et par la suite, quel plaisir de voir la portée de la manif autour du monde ! Des articles de journaux américains, britanniques, français, espagnols, italiens ont circulé sur mon mur Facebook pendant plus d’une semaine !

Le peuple polonais a parlé

Ce qui m’a le plus surprise, c’est la réaction du gouvernement. Quelques jours après, le Parlement décidait de ne pas discuter le projet de loi. Ça c’est une manifestation efficace ! Selon Le Monde dans un article du 5 octobre 2016, la commission de la justice et des droits de l’homme du Sejm (la chambre basse du Parlement) a rejeté la proposition de loi qui visait à interdire totalement l’avortement (sur 31 membres, 15 voix pour le rejet et 1 abstention). La motion de rejet a été déposée par le député de la majorité ultra-conservative du PiS, dans une ambiance visiblement très tendue.

On peut considérer cette victoire comme une note optimiste, par les temps qui courent. Néanmoins, il m’est difficile d’être complètement satisfaite de ce résultat. En effet, l’autre jour je discutais politique avec un ami. Il m’a dit que pour un Polonais il était plutôt de gauche, et très libéral quant aux questions de société. Mais lorsque nous avons abordé le sujet de l’avortement, que je lui ai dit que je trouvais dommage que l’avortement soit aussi limité, il m’a répondu que selon lui c’était une bonne chose. Il refuse une interdiction totale mais considère que chacun doit être responsable de ses actes, et que si « accident » il y a, au couple de prendre ses responsabilités. L’avortement ne doit pas, dans ce cas, être une solution. Entendre cela de la voix d’un jeune homme éclairé, ayant passé plusieurs mois à l’étranger et se considérant comme très ouvert, ce n’est pas très bon signe pour la suite de la polémique…

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