Des prisons secrètes en Tchétchénie contre les homosexuels

Aux portes de l’Europe, en Tchétchénie, une vaste chasse aux homosexuels aurait été lancée depuis la fin du mois de mars. L’indignation est internationale mais la situation n’évolue guère depuis.

L’article a fait l’effet d’une bombe. Fin mars, le journal d’opposition russe Novaïa Gazetta révélait l’existence de prisons secrètes en Tchétchénie destinées à emprisonner des homosexuels ou supposés comme tels. Devant une communauté internationale préoccupée, la république du Caucase et son grand protecteur, la Russie de Poutine, font la sourde oreille et jouent la provocation.

La Tchétchénie, une habituée des privations de liberté

Créée en 1991 à la suite de l’effondrement du bloc soviétique, la République de Tchétchénie est un petit territoire situé dans le Caucase du Nord et faisant partie de la Fédération de Russie. Aujourd’hui dirigée par Ramzan Kadyrov, homme fort du régime depuis que son père dirigea lui-même la République entre 2003 et 2004, la Tchétchénie s’illustre depuis des années par une répression sanglante des opposants, des libertés bafouées au quotidien et une violence d’Etat systématisée.

Les cas de journalistes étrangers agressés sont nombreux. Le 9 mars 2016, ce sont plusieurs correspondants de journaux européens qui ont été pris pour cibles, ainsi que des défenseurs des droits de l’homme, tabassés par des hommes masqués à la solde du dictateur tchétchène. Dans une région qui a longtemps connu l’instabilité, Ramzan Kadyrov tient son pays d’une main de fer, imposant un islam radical, exécutant si nécessaire toute personne qualifiée comme déviante, hommes et femmes confondus. Si Kadyrov a été placé au pouvoir par Vladimir Poutine, plusieurs observateurs n’hésitent plus à affirmer que le dictateur caucasien est devenu hors de contrôle pour l’hôte du Kremlin.

Des pratiques systématisées

Si l’on connaissait donc les pratiques tchétchènes en matière de répression et d’intimidation, l’article de Novaïa Gazetta de mars dernier a remis la lumière sur ce territoire, son dirigeant et ses méthodes. Le journal d’opposition russe décrit une véritable chasse aux homosexuels ou supposés comme tels. Repris notamment par le New York Times et le Guardian, l’article recueille les témoignages de personnes ayant pu s’enfuir de Tchétchénie. Ils décrivent des prisons secrètes où plus d’une centaine de personnes au bas mot seraient emprisonnées et torturées. Au moins trois auraient péri dans ces geôles. En plus de cette campagne d’arrestations, le régime incite les familles soupçonnant certains de leurs membres d’être homosexuels de se faire justice afin de « laver leur honneur ».

Si l’indignation a été internationale, la réaction du régime tchétchène s’est montrée à la hauteur des agissements de ce dernier. Dénonçant dans un premier temps une série de mensonges, il a ensuite indiqué que de telles accusations étaient sans fondement car les homosexuels n’existeraient pas en Tchétchénie.

Convoqué par Vladimir Poutine afin de s’expliquer sur ces accusations, Ramzan Kadyrov n’a pas dévié de son argumentaire. Sans doute car il sait que son grand frère russe ne semble pas enclin à intervenir directement pour faire cesser ces agissements. Face aux appels de la communauté internationale le sommant de réagir, Vladimir Poutine y montre en effet peu d’empressement. Sa police arrêtant même 18 manifestants lors d’un rassemblement le 1er mai à Moscou en soutien aux homosexuels persécutés en Tchétchénie. Une enquête a cependant été ouverte sur la base des « rumeurs », terme utilisé par M. Poutine pour qualifier les révélations de la presse russe et internationale, mais les autorités expliquent n’avoir reçu aucune plainte officielle. Peu étonnant quand on sait que la déléguée des droits de l’Homme du Kremlin a déjà fait part de son profond rejet des relations homosexuelles, et qu’une plainte officielle lèverait de fait l’anonymat de personnes se cachant des autorités au quotidien.

Une réaction européenne 

Les réactions d’associations LGBT et de protections des droits humains ne se sont pas faites attendre. Trois associations LGBT françaises ont même porté plainte devant la Cour pénale internationale pour « génocide » contre Ramzan Kadyrov.

Du côté des Etats, de très nombreux chefs d’Etats et de gouvernements ont exprimé leur inquiétude à ce sujet. Cinq ministres européens ont écrit à Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, afin de lui demander d’intensifier les investigations à propos des révélations de Novaïa Gazetta.

Le Parlement européen, au cours de sa séance plénière, a appelé le jeudi 18 mai à ce que cessent ces persécutions. Les députés ont aussi exhorté la Russie à lancer une véritable enquête “indépendante, objective et approfondie”. À cette occasion, ils ont demandé à “la Commission, aux Etats membres et au Conseil de l’Europe d’aider la Russie dans cette enquête”
Les députés européens en ont également profité pour revenir sur les engagements de l’Union européenne dans ce domaine. Cela s’exprime en particulier dans la promotion et la bonne mise en œuvre des lignes directrices œuvrant à la protection des personnes LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées). En 2014, une feuille de route de l’Union européenne contre l’homophobie et les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre avait également été adoptée.

Cette situation en Tchétchénie, aux portes de l’Europe, n’est cependant pas un cas isolé. Elle vient s’ajouter à une longue liste d’Etats usant de méthodes tout autant révoltantes. Dans 71 pays l’homosexualité est encore considérée comme un délit, et demeure passible de la peine de mort dans 13 d’entre eux.

Corentin Gorin

Ex-rédacteur en chef d'Eurosorbonne.

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