STX : un bras-de-fer entre la France et l’Italie

Le chantier naval STX France se retrouve au cœur d’une querelle entre l’Italie et la France, celle-ci ayant décidé de nationaliser l’entreprise après le refus d’un accord à 50/50 avec l’entreprise italienne Fincantieri. Une bataille économique et industrielle qui cache de réelles tensions diplomatiques.

Le 27 juillet, la France a choisi de nationaliser la société STX France, un chantier de construction navale basée à Saint-Nazaire dont l’actionnaire principal est un groupe sud-coréen en faillite. Cette décision empêche la société italienne Fincantieri de prendre le contrôle de STX. En janvier 2017, la Chambre de Commerce de Séoul avait autorisé Fincantieri à racheter l’entreprise, mais en juillet, Bercy a fait le choix de renégocier les accords passés lors du mandat du Président Hollande.

Fincantieri refusant l’accord à 50/50 proposé par la France, le ministre français de l’économie, Bruno le Maire, a décidé de nationaliser STX. Une décision loin de la stratégie du « win-win » utilisée en relations internationales pour favoriser la coopération entre États, une manière de privilégier les intérêts de chaque acteur.

Bruno le Maire se défend dans le point de presse de Bercy le 27 juillet, ne voulant faire que son travail de protection des emplois français, et justifie cette nationalisation, préférant même à ce terme celui de « préemption temporaire ». Il invoque la sauvegarde des emplois et des savoir-faire français, la nationalisation permettant de préserver ces emplois en cas de revirement de conjoncture. Ce retournement de situation est très mal reçu en Italie. Une question plus politique qu’industrielle ?

Qu’apporte la nationalisation au gouvernement français ?

Depuis la vague de privatisations des années 2000, la nationalisation d’une entreprise est une décision rarissime pour l’État français, qui plus est un gouvernement ouvertement libéral. En outre, nationaliser une entreprise empêche le rachat de celle-ci par une société étrangère.

Les enjeux liés à STX France sont très importants, car les ex-Chantiers de l’Atlantique emploient directement 2600 personnes et sans compter les 5000 salariés dans les entreprises sous-traitantes. Un article des Echos rappelle également que STX France est un symbole de l’industrie, très particulière, de la construction navale, et est réputée pour son expertise dans l’ingénierie et la conception de paquebots géants, comme le Harmony of the Seas. Un savoir-faire et une expertise trop précieuses pour Bruno le Maire pour voir un transfert de technologie hors de l’Hexagone.

L’Italie s’est défendue dans un communiqué de vouloir supprimer aucun emploi et que les technologies de pointe auraient été transférées à l’étranger. En somme, des garanties que Fincantieri estimait avoir respectées dans l’accord conclu en 2016 sous la présidence Hollande. L’Italie accepte mal la décision de revenir sur cette promesse, ne comprenant pas ce revirement français et la renégociation de l’accord.

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De plus, l’Italie critique « l’arrogance » française, s’interrogeant sur la méfiance hexagonale. Pourquoi refuser à l’Italie de racheter une entreprise alors que l’on prétend construire l’Europe ? Comme le rappelle Romano Prodi, l’ancien Premier ministre italien, la propriété coréenne du site « ne posait aucun problème ». Pourquoi refuser dans ce cas le rachat à un autre pays européen, créant ainsi des tensions avec un autre grand pays membre ?

Il peut être important de souligner que le fleuron de l’industrie italienne, Fincantieri, a signé en 2016 un accord exclusif avec l’entreprise de construction et réparation navale Huaron Dadong Dockyard (HRDD) basée à Shanghai, créant ainsi un consortium italo-chinois exclusif. Bruno Le Maire souhaite donc, sans le nommer, éviter un transfert technologique vers la Chine, et juge Fincantieri trop proche des Chinois pour leur concéder un rachat total de la société française.

Une « gifle » des Français aux Italiens ?

Si la classe politique française, de Florian Philippot à Jean-Luc Mélenchon, a bien accueilli la nouvelle estimant que « l’État avait fait son devoir », la presse se montre bien plus critique. Au-delà de la nationalisation économique en elle-même, ce sont les répercussions sur les relations franco-italiennes qui inquiètent les journalistes. Le correspondant à Rome du Point, Dominique Dunglas, rappelle que l’affaire STX n’est qu’une «gifle » de plus infligée à l’Italie, celui-ci évoquant le dossier libyen et la décision française de renvoyer vers l’Italie des immigrés libyens s’étant réfugiés en France.

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La presse italienne, elle, n’en demeure pas moins déçue d’Emmanuel Macron, pointant du doigt cette nationalisation et le Président français : un article de Libération souligne que les Italiens ont l’impression d’être « moins bien traités que les Coréen ». L’auteur et journaliste italien Massimo Nava implorant dans les colonnes du site d’investigation en ligne Linkiesta « d’ouvrir les yeux » sur Emmanuel Macron, qu’il compare à Napoléon. « Après l’overdose d’applaudissements qui a accompagné son élection, il y a une séquence de faits qui justifie déception et irritation.» écrit Nava.

Du côté des dirigeants politiques, le parti de Berlusconi Forza Italia fustige le gouvernement italien qui « ne se sait pas se faire respecter ». Cette affaire mettrait selon lui en lumière la faiblesse des dirigeants italiens, incapables de défendre les intérêts nationaux face à des pays plus autoritaires comme la France ou l’Allemagne.

Le gouvernement a pour sa part appelé cette nationalisation « grave et incompréhensible », ne cachant pas sa déception envers la France. Pour les ministres italiens de l’Économie et de l’Industrie, « nationalisme et protectionnisme ne sont pas des bases acceptables sur lesquelles s’établissent des relations entre deux grands pays européens. La confiance et la réciprocité sont une nécessité ».

Une décision allant à l’encontre des valeurs européennes ?

Les Italiens ne comprennent donc pas la stratégie française, qu’ils jugent trop unilatérale. La construction européenne nécessite, et fut pensée et construite historiquement sur la coopération et le dialogue entre pays membres. Les relations économiques entre États membres de l’Union Européenne doivent rester transparentes et harmonieuse afin de favoriser la coopération et d’éviter tensions diplomatiques, politiques et économiques. Les ministres italiens perçoivent la nationalisation comme une volonté de défendre les intérêts  français, laissant de côté des stratégies tendant vers plus de coopération avec les États membres.

Enfin, la décision de protéger les stratégies navales françaises met un frein aux plans de Fincantieri de créer un « Airbus naval » calqué sur le géant de l’aéronautique Airbus transformé en société européenne en 2015 en société européenne. Une vraie success story à l’européenne ; projet réunissant résultats économiques florissants et coopération fructueuse entre pays européens. Bruno Le Maire a cependant rappelé que l’accord initial d’un partage entre l’État français et Fincantieri était toujours possible et que cette nationalisation n’est que temporaire.

Le ministre s’est rendu le 1er août à Rome pour dialoguer avec son homologue italien. La France ne souhaite pas rompre le dialogue avec l’Italie et rappelle que des négociations sont toujours possibles, les accords pouvant également inclure la construction de navires militaires. Loin du ministre français l’idée de tourner le dos à I’Italie, qu’il continue d’appeler ses ‘’amis’’, un symbole fort d’un point de vue diplomatique. Cependant, cette amitié est aujourd’hui fragilisée par de fortes tensions économiques et politiques. Macron ne tourne pas tant le dos à ses idéaux européens qu’à ses promesses de campagne présidentielle.

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Les deux pays se sont donnés jusqu’au 27 septembre pour aboutir à un accord, et « dépasser » leur différend ». La France et l’Italie ont donc désormais moins d’un mois pour rédiger un nouveau contrat, qui reviendra peut-être sur l’accord initial de 50/50. Mais il s’avère peu probable que la France concède à Fincantieri la prise de contrôle de STX France.

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