Jean-Claude Juncker : entre euroïsme et pessimisme

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Le Président de la Commission européenne est un personnage controversé. Homme de droite porté sur le social, pilier de la construction européenne, impliqué dans l’affaire des Luxleaks, et systématiquement entouré de rumeurs, Jean-Claude Juncker est détesté ou acclamé, mais ne laisse pas indifférent.

En prononçant son discours sur l’État de l’Union, ce mercredi 13 septembre, le Président de la Commission européenne affichait, comme à l’ordinaire, une mine fatiguée, et ce malgré sa vivacité. Des traits tirés qui lui valent régulièrement une salve de critiques et de rumeurs, provenant généralement des tabloïds britanniques, mais aussi, à l’occasion, de la presse allemande. Tandis que le Sun dit de lui que c’est “L’homme le plus dangereux d’Europe”, le Frankfurter Allgemeine Zeitung affirme qu’il est “impuissant et fatigué”. Selon cette presse, le chef de l’exécutif européen serait secrètement malade et souffrirait d’alcoolisme, ce qui expliquerait de prétendues absences que le principal intéressé réfute.

Dans un entretien accordé à Libération en 2016, Jean-Claude Juncker nie toute pathologie cachée, arguant que ces accusations ont plutôt pour objectif de réclamer sa démission. Selon lui, certains médias chauvins, pour ne pas dire nationalistes, s’accommodent mal des initiatives qu’il a prises depuis le début de son mandat, après les dix années libérales et atlantistes de Manuel Barroso, son prédécesseur. Sa politique est vue comme fédéraliste pour beaucoup de pays où cela sonne comme un gros mot. L’Allemagne, Le Royaume-Uni, mais aussi les petits pays de l’est, peu enclins à se laisser dicter une politique.

Un pilier de l’Europe

Il est vrai que peu de politiciens peuvent se targuer d’avoir autant baigné dans la construction européenne que lui. Fils d’un mineur syndicaliste, il a été sensibilisé depuis tout petit au monde du travail et de la politique. Premier ministre du Luxembourg, pays très pro-européen, de 1995 à 2013, cumulant la fonction de ministre des Finances qu’il occupait depuis 1989, il a aussi été Président de l’Eurogroupe, la réunion mensuelle des ministres des finances européens, de 2005 à 2013.

En pleine crise de l’Euro, il s’est farouchement opposé à l’Allemagne, afin de protéger la Grèce, alors dans un marasme financier dont elle n’est toujours pas sortie. Mais surtout, Jean-Claude Juncker le dit lui-même, “L’euro et moi sommes les seuls survivants du traité de Maastricht”. Au début des années 90, le jeune ministre des Finances luxembourgeois a contribué à mettre en place ce traité, aujourd’hui largement décrié.

Le grand instigateur de la fraude

Mais Jean-Claude Juncker n’est pas qu’un idéaliste européen qui a œuvré pour sa construction. Il est également controversé, et mis en cause dans le scandale des Luxleaks. Ce scandale financier a révélé en 2014 l’évasion fiscale, avec l’aval de l’administration luxembourgoise, de plus de 1000 entreprises présentes en Europe, en plein milieu de son mandat de Premier ministre. Alors qu’il venait d’être désigné Président de la Commission européenne, cette révélation a entaché sa crédibilité et a attiré les foudres d’une partie de la société civile, qui depuis, voit en lui le grand instigateur de la fraude et de l’opacité caractéristique des institutions européennes.

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Le Président de la Commission européenne est aussi connu pour son côté spontané, parfois vu comme un franc manque de diplomatie. Ainsi, lors du sommet de Riga, en 2015, son comportement familier sidère : il embrasse le crâne – chauve- du Premier ministre belge, donne des petites gifles paternalistes aux chefs d’États, accueille Viktor Orban d’un salut militaire assorti d’un tonitruant “salut dictateur !”. La séquence est retransmise et décryptée par le Petit Journal de Yann Barthès, propulsant Jean-Claude Juncker, alors grand inconnu du public, en “politicien cool”. Mais dans les couloirs des institutions européennes et des palais présidentiels, cette attitude crispe et agace. Nicolas Sarkozy ne cachait pas son énervement et son mépris pour le Luxembourgeois, trop “bon vivant”.

On lui reproche aussi sa grande proximité avec le social-démocrate Martin Schulz, Président du Parlement européen de 2012 à 2017. L’Allemand de gauche et le Luxembourgois de droite avaient été rivaux, mais s’étaient finalement bien entendus, et étaient parvenus à travailler ensemble, dans une large coalition pro-européenne. Cette capacité de consensus est un trait communément mis en avant à propos de Jean-Claude Juncker, mais d’aucuns y voient une remise en question des identités politiques de la gauche et de la droite.

Pas de second mandat

Las, depuis un moment maintenant, Jean-Claude Juncker donne des signes d’irritation, de frustration. Celui qui aurait voulu construire l’Europe sociale ne semble plus croire au projet européen tout court. Dans un entretien à la radio allemande, en février, il annonce ne pas vouloir se représenter en 2019. Une annonce surprenante, alors qu’il n’en est qu’à la moitié de son mandat. Le Luxembourgeois dresse un sombre portrait de l’Europe, et du monde en général : le Brexit, l’élection de Donald Trump, le manque de coopération de la Pologne et la Hongrie sont autant de signe que l’Europe va se disloquer, car les différents protagonistes, plutôt que de se liguer dans l’adversité, prendront chacun un chemin correspondant aux intérêts nationaux.

Jean-Claude Juncker l’avait aussi confié à Libération : il est fatigué. Avec 14 ou 15 heures de travail par jour, la fonction de Président de la Commission européenne est plus éreintante que celle de Premier Ministre du Luxembourg. Il occupe le peu de temps libre qui lui reste à faire des allers retours entre Bruxelles et le Luxembourg, où son épouse est restée. À 62 ans – mais il admet lui-même faire plus vieux – l’Homme semble pourtant décidé à aller jusqu’au bout de sa fonction, et à prendre des décisions drastiques s’il le faut, comme la possible activation de l’article 7, dit “bombe nucléaire”, contre la Pologne en pleine dérive totalitaire.

Jean-Claude Juncker se préserve, pour sa dernière ligne droite en faveur d’une Europe forte et libre. Il se serait mis à la cigarette électronique, mangerait équilibré et limiterait sa consommation d’alcool, ferait de nombreuses micro-siestes en taxi, en avion ou entre deux rendez-vous… Même s’il n’écrit jamais sur un ordinateur et ne possède pas de smartphone, il se serait récemment mis aux SMS. Un dernier effort avant de retrouver sa tranquillité, et ses livres qui lui ont tant manqué.

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Elena Blum

Ancienne présidente d'Eurosorbonne, co-fondatrice du journal, journaliste professionnelle, j'aime le bourgogne blanc, les chats et l'idée d'une Europe sociale.

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