Wolfgang Schäuble : la mémoire de l’Allemagne politique

Redouté ministre des Finances allemandes sous Angela Merkel, Wolfgang Schäuble est désormais à la tête du Bundestag. Portrait d’un homme clé en Europe depuis presque trente ans.

Parler de Wolfgang Schäuble à Athènes ne vous attirera certainement pas un sourire. Si l’on connaît l’ancien ministre des Finances pour son rôle dans les tentatives de résolution de la crise grecque, l’homme de 75 ans est aussi un vétéran de la politique allemande.

Un acteur clé de la réunification allemande

En 1989, dans la perspective d’une Allemagne à nouveau unifiée, Helmut Kohl, le chancelier qui a mené la réunification, est assisté par celui que beaucoup présentent comme son dauphin. Wolfgang Schäuble, en qualité de ministre de l’Intérieur, va négocier pendant des mois l’accord de négociations entre les deux Allemagnes. C’est lui qui signera l’accord de réunification officielle, le 31 août 1990, avant que la Chambre du peuple de la RDA et le Bundestag approuvent le texte quelques jours plus tard. Le 12 octobre de la même année, le ministre est visé par un attentat qui lui retire l’usage de ses jambes. L’auteur sera plus tard jugé mentalement irresponsable.
Dès lors, il va s’imposer comme le numéro 2 de Kohl, destiné à lui succéder un jour. Mais comme son binôme, il est éclaboussé par l’affaire des caisses noires de la CDU qui éclate à la fin des années 1990 et contraint de démissionner de la tête du parti qu’il avait prise quelques mois auparavant. La CDU était soupçonnée de s’être financée à travers des pots de vins à la suite de différents dossiers frauduleux, en particulier des ventes d’armes. Cet épisode, qui coïncide avec le début de la prise de pouvoir d’Angela Merkel au sein des chrétiens-démocrates, va marquer un brutal coup d’arrêt dans son ascension politique.

Le symbole de l’austérité en Europe

En 2005, quand Angela Merkel est élue chancelière, Wolfgang Schäuble effectue son retour au premier plan de la politique allemande en étant à nouveau nommé ministre de l’Intérieur. C’est à partir de 2009, dans la coalition « noire-jaune » entre les Libéraux du FDP et la CDU/CSU que Schäuble obtiendra une aura et une puissance au niveau européen.
Alors que la finance mondiale s’effondre et que des pays du sud de l’Europe sont au bord de la faillite, il est nommé négociateur officiel dans la gestion de la crise par Mme Merkel et va se montrer d’une intransigeance totale. Ce rôle va cependant convenir à beaucoup en Europe, qui partagent alors les vues du ministre allemand sans jamais les affirmer aussi fortement.
Devant les échecs à répétition des plans de sauvetage menés à destination de la Grèce, il va même jusqu’à demander un « Grexit » en 2015, soulevant un tabou que presque personne ne s’était risqué à évoquer jusqu’ici, au nom de la sauvegarde de la zone euro et de l’Union en général.
Si les méthodes de Schäuble ont souvent été décriées, il faut aussi les percevoir comme celles d’un Européen convaincu dont l’Europe à deux vitesses fut l’un des chevaux de bataille. En 1994, il rédige avec Karl Lamers, également à la CDU, une note proposant la création d’un noyau dur franco-allemand, autour duquel les autres États membres décideraient ou non d’avancer dans le même tempo. La France avait refusé.

Si l’Europe semble avoir laissé derrière elle le plus dur de la crise économique, l’austère Schäuble, malgré un humour souvent grinçant, ne cesse de mettre en garde contre les possibilités de nouvelles turbulences sur les marchés européens. Lors de la dernière réunion de l’Eurogroupe avant son départ, il a une nouvelle fois laissé de côté la solidarité et la convergence souvent mise en avant par les pays du Sud, prônant encore et toujours la stabilité monétaire qu’il a si bien incarnée dans les gouvernements allemands auxquels il a pris part.

Le revers de Merkel et la fin de Schäuble au gouvernement

À 75 ans, l’avocat de formation né à Fribourg s’imaginait bien rempiler pour un nouveau mandat. Mais son parti, la CDU, a connu un succès mitigé aux dernières élections, qui cache mal un semi-échec pour la chancelière. Devant le refus du SPD de Martin Schulz de former une nouvelle grande coalition, Mme Merkel est alors contrainte de négocier avec les Verts et les Libéraux. Ces derniers n’ont jamais caché leur envie de s’emparer du ministère des Finances. En position délicate, la présidente de la CDU s’est résolue à pousser vers la sortie un homme avec qui les relations ont toujours oscillé entre méfiance et respect.
Le poste de président du Bundestag ne constitue cependant pas une mise au placard, il fait de lui le deuxième personnage de l’État. Devant une assemblée plus que jamais divisée, sans compter l’entrée de 90 députés de l’AfD bien déterminés à jouer les trouble-fêtes, la poigne de Schäuble pour tenir un lieu d’habitude si feutré pourrait s’avérer utile.

Corentin Gorin

Ex-rédacteur en chef d'Eurosorbonne.

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