Fan Chieh Kung : « À Taiwan, on est assez peu focalisés sur l’Europe »

Fan Chieh, Taiwan, Chine, portrait, Elena Blum

On retrouve Fan Chieh après un cours, un froid lundi d’hiver. Discrète aux premiers abords, Fan Chieh s’ouvre très vite, rit, parle avec passion de son pays, s’énerve sur son français pourtant excellent. En France depuis deux ans et demi, celle qui se revendique toujours Taïwanaise, jamais Chinoise, porte sur l’Europe un regard détaché mais affectueux, moins politique et idéologique que la plupart de ses camarades.

D’où viens-tu ?

Je viens de Taiwan. De la capitale, Taipei. J’y ai fait une licence de science politique, et de l’économie. J’ai appris la langue française pendant trois ans mais ce n’était pas très efficace, il n’y avait pas d’environnement pour pratiquer. Alors j’ai fait une demande pour m’inscrire pour un master en France. Je suis arrivée à Lyon en septembre 2014, et j’ai d’abord passé 8 mois à apprendre mieux la langue sur place. Je ne suis arrivée à Paris qu’en septembre 2015, pour commencer la Licence 3 d’études européennes, et je vais essayer d’aller jusqu’au Master 2.

Qu’est-ce qui te plaît dans l’Europe ?

Ce qu’il y a de plus pratique pour moi, c’est les voyages ! Chez nous, c’est une île, du coup chaque fois qu’on veut partir de Taiwan, on est obligés de prendre l’avion, mais en Europe, on peut prendre le train, la voiture, et pour tous les pays, c’est vraiment pratique. Je pense que cette facilité est liée à la culture. Mais la raison pour laquelle j’ai fait des études européennes, c’est parce que j’aime bien étudier les régimes politiques comparés. J’ai parlé avec un prof de ma fac et il m’a conseillé de faire des recherches sur l’Union européenne, parce qu’à Taïwan on n’a pas de département qui fait ça.

Je me suis intéressée aux normes alimentaires asiatiques et européennes. Chez nous, il y a eu des scandales alimentaires graves : il y avait quelque chose dans le lait en poudre qui venait de Chine, on a mis ça dans le thé, le café [ndlr : en 2008, du lait frelaté exporté par la Chine a causé la mort de plusieurs nourrissons et aurait intoxiqué plus de 300 000 personnes, mais l’affaire a été censurée pour ne pas perturber les Jeux Olympiques de Pékin]. Il y a également eu le scandale de l’huile [ndlr : en 2014, un industriel taïwanais vend à des restaurants et des boulangeries 782 tonnes d’huiles usagées, provenant de collecteurs de graisse en la faisant passer pour de l’huile pure]. J’ai décidé d’en faire mon sujet de mémoire. L’Union européenne est très exigeante avec les règles de sécurité alimentaire. Pour exporter des produits en Europe, c’est très compliqué, et j’ai trouvé ça intéressant, je peux le comparer avec ce que je connais de mon pays.

Je pense qu’à Taiwan, on a un regard assez positif sur l’Europe, qu’on ne connaît pourtant pas vraiment. Heureusement moi, j’avais eu un cours sur les Institutions européennes, mais en général on n’est pas vraiment focalisés sur l’Europe. On est très liés avec le Japon ou les Etats-Unis, donc on a assez peu d’intérêt pour l’actualité européenne. Et Taiwan n’est pas reconnu en Europe [ndlr : seul le Saint-Siège reconnait officiellement Taiwan comme étant la République de Chine]. Ce sont des partis taiwanais qui ont fait un siège pour abolir l’Empire chinois. Et après ça, on a eu une guerre civile entre nous et les communistes. Ce n’est pas un pays reconnu par l’ONU, mais on a des relations diplomatiques surtout en Afrique ou en Amérique Latine. Du coup, on est en concurrence avec la Chine pour l’aide financière au développement. Quand la Chine donne aux pays avec qui on a des échanges diplomatiques, on donne encore plus, pour améliorer la reconnaissance de Taiwan.

Qu’est-ce que tu reproches à l’Europe ?

Pas grand chose en fait. A Taïwan, on est un “M-Form Society”, où il y a des extrêmes dans la richesse et la pauvreté. Mais l’Etat providence en Europe est plus développé que chez nous. À Taiwan, il n’y a pas d’allocations logements, de trucs comme ça. Les gens très pauvres peuvent demander de l’aide, mais pas les gens “normaux”, comme nous. Donc honnêtement, je n’ai pas tellement de reproches à adresser à l’Europe.

Tu as une baguette magique, tu peux avoir le poste de tes rêves, que fais-tu ?

Je n’ai pas d’idées très ambitieuses moi… Pas comme Maxime ! (Rires) Je sais ce que je ne veux pas faire : je ne veux pas être fonctionnaire. Je vais un peu raconter ma vie, mais en ce moment, j’ai des problèmes de titres de séjour : je suis sans papiers ! Il y a eu un incendie dans la préfecture dont je dépends, alors je n’ai pas pu faire renouveler mon titre de séjour. J’ai fait plusieurs fois la queue, très tôt le matin, pour l’avoir, mais je n’ai pas encore réussi, donc je déteste les fonctionnaires en ce moment. (Rires)

Sinon, je n’ai pas trop d’idées, beaucoup de choses m’intéressent. En arrivant en licence, j’étais intéressée par la diplomatie, mais je ne suis plus sûre. Ou bien je me suis dit que j’allais faire un doctorat, et en fait, je ne suis pas sûre de vouloir rester dans un bureau toute seule pendant plusieurs années. Etre prof d’université ça doit être bien, mais je ne pense pas pouvoir… Je prévois plutôt d’essayer d’entrer dans une entreprise qui fait du commerce international, puisque ma langue maternelle est utile pour le commerce ! La langue officielle de Taïwan, c’est le chinois, mais on a quand même un dialecte, très proche du langage du sud de la Chine. Donc je parle couramment chinois, taïwanais, français et anglais. Ça serait pas mal de parler un petit peu allemand, parce que je vais essayer de trouver un travail en Europe.

Raconte nous quelque chose qui t’a marquée, une expérience, en France.

Pour moi, le plus étonnant, c’était les attentats de novembre 2015. Parce que mes parents m’ont téléphoné et m’ont dit “tu ne peux pas sortir, tu restes chez toi !” et j’avais très peur ! Je devais voir une amie ce week-end là, et on a laissé tomber. La semaine suivante, on avait un cours d’histoire et la prof nous a demandé de réagir aux attentats, et j’ai entendu un camarade qui a dit “ce sont des choses qu’on ne peut pas éviter”. Ça m’a choquée. Parce que c’est un événement très grave, très effrayant, et ce garçon… J’ai trouvé que c’était une réaction très tranquille. Normalement, on devrait être terrifiés, ne pas sortir, rester chez nous. Peut-être que c’est une vision différente entre les Français et nous. Vous le prenez tranquillement, comme si, voilà, on ne pouvait pas l’éviter. Vous avez dû entendre très souvent au journal “à cause des attentats, il y a de moins en moins de touristes qui viennent en France”, mais oui, parce que chez nous on a eu peur. On a peur très facilement chez nous. (rires) Alors moi, j’ai dit à ma mère que j’allais faire très attention mais que si ça arrivait je ne pourrais pas le changer. Et elle m’a dit “dans ce cas, tu restes chez toi, tu arrêtes complètement de sortir, ou alors tu ne restes vraiment pas longtemps dehors”. Mais au final, je suis peut-être un peu comme vous, parce que je ne le fais pas (rires).

Elena Blum

Ancienne présidente d'Eurosorbonne, co-fondatrice du journal, journaliste professionnelle, j'aime le bourgogne blanc, les chats et l'idée d'une Europe sociale.

Articles recommandés