Derrière la recomposition de 2017, l’ombre de 2005

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Il aura fallu attendre douze années. Douze longues années et presque autant de campagnes électorales pour que la campagne référendaire de 2005 ne soit pas seulement une parenthèse dans l’histoire politique française mais bien la matrice d’une recomposition inédite de la vie politique hexagonale.

La retentissante victoire du « non » au projet de traité établissant une constitution pour l’Europe, le 29 mai 2005, s’est transformée en véritable obsession dans les joutes politiques nationales. Atteinte à la démocratie pour les uns – après la ratification du très similaire traité de Lisbonne par voie parlementaire en 2007 –, symbole d’une Europe impopulaire et des dangers du référendum pour les autres.

Mais ce référendum a surtout révélé les fractures internes des partis de gouvernements. Alors que François Hollande et l’aile libérale du PS faisait campagne pour le « oui », presque la moitié du parti, Laurent Fabius et un certain Jean-Luc Mélenchon soutenaient le « non ». A droite, l’UMP soutenait très majoritairement le texte. Seule la composante souverainiste du parti, menée par Nicolas Dupont-Aignan, s’opposait à ce projet de traité.

Retour comme avant après 2005

Alors que l’aile gauche du PS faisait campagne commune avec le PCF et Olivier Besancenot et que François Hollande et Nicolas Sarkozy posaient côte-à-côte en une de Paris Match, la vie politique française ne connaissait pourtant par la suite aucun bouleversement majeur. La gauche radicale restait très divisée, au point de présenter cinq candidats différents au premier tour de l’élection présidentielle de 2007 ! Même chose à la droite de l’UMP avec trois candidats différents.

L’art de la synthèse du premier secrétaire François Hollande et la position médiane de Nicolas Sarkozy permettaient au PS et à l’UMP de conserver leur unité, à défaut de cohérence idéologique et surtout, d’une position claire et assumée sur l’Europe.

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Cette quasi-immobilité partisane a conduit à douze années complètement ubuesques. Ainsi en 2007, alors que les braises de la victoire du « non » sont encore fumantes, ce sont pourtant trois tenants du « oui » – Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou – qui arrivent aux trois premières places, rassemblant près de 75% des suffrages !

Les présidences Sarkozy et Hollande voient les deux chefs d’État naviguer entre des positions de plus en plus éloignées afin de contenter les différentes ailes de leurs familles politiques. Tantôt très pro-européens notamment lors de la présidence française de l’Union européenne en 2009, tantôt très critique, comme sur Schengen, Nicolas Sarkozy voit ses positions se durcir progressivement.

Élu en promettant une renégociation du traité budgétaire, François Hollande n’obtient finalement rien et entame même un tournant social-libéral en 2014, nommant alors Manuel Valls à Matignon, au point de déclencher la fureur des « frondeurs » de son parti.

Derrière E. Macron : une vaste « coalition du oui »

Il faut donc finalement attendre les élections présidentielles et législatives de 2017 pour voir le quasi-statu quo de l’après 2005 prendre fin. Les principales victimes sont indéniablement les deux partis de gouvernement, dont les candidats sont éliminés dès le premier tour de la présidentielle. Le PS et LR – le nouveau nom de l’UMP – semblent ainsi payer douze années d’ambiguïté et d’incapacité à trancher clairement.

La synthèse hollandaise est débordée sur sa gauche par la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Si les divisions n’ont pas disparu,  cette force nouvelle apparaît enfin comme un grand mouvement à la gauche de la gauche réussissant à rassembler l’essentiel de ce qui était le « non » de gauche.

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Sur sa droite, le PS subit l’émergence d’une force centrale qui emmène avec elle la totalité de son aile libérale. En rassemblant à la fois à gauche, en phagocytant le centre, et en attirant nombre d’électeurs de la droite modérée, Emmanuel Macron et son mouvement La République en marche (LREM) apparaît ainsi comme le leader d’une vaste coalition du « oui ».

Si LR est loin d’être dans une aussi mauvaise posture électorale que le PS, le parti de droite apparaît comme plus divisé que jamais. Au point de se scinder en deux groupes distincts à l’assemblée, entre l’aile prête à travailler avec le nouveau gouvernement et le reste du parti, dont les leaders les plus radicaux semblent se rapprocher de plus en plus de la ligne souverainiste et identitaire du Front national et du parti Debout la France… de Nicolas Dupont-Aignan.

Des forces du « non » bien divergentes

Ce vaste exercice de clarification, centré principalement autour de la question européenne, fait donc apparaître un paysage politique largement réorganisé. Mais en 2017, les forces du « non » à Macron ne semblent pas bénéficier des mêmes avantages que la coalition de circonstance du « non » de 2005. Cette année-là, les opposants aux traités avaient su rassembler les électeurs de tous bords au nom d’un refus commun.

Mais en 2017, l’exercice est tout autre. D’un vote CONTRE un projet de traité, il faut être capable de voter POUR un candidat. Et là où les « non » s’additionnaient facilement, les votes en faveur d’une alternative ont beaucoup plus de mal à se rassembler. Quoi de commun en effet entre un électeur proche de Laurent Wauquiez, de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon ? Emmanuel Macron profite à plein de la grande division de l’opposition, alors qu’il n’avait été désigné que par seulement moins d’un quart des électeurs au premier tour de la présidentielle.

En 2016, avec le référendum sur le Brexit, le Royaume-Uni voyait lui-aussi ses deux principaux partis de gouvernement – travailliste et conservateur – se déchirer de l’intérieur sur la question européenne. Pourtant, à l’image de l’après-2005, la vie politique britannique n’a pas non plus connu de bouleversements majeurs. Au point que la première ministre Theresa May semble plus que jamais incapable de définir sa vision du Brexit, tiraillée entre les différentes ailes de sa coalition gouvernementale. Alors faudra-t-il là-aussi attendre douze ans ?

Josselin Petit

Passionné par les questions politiques et le numérique, j'essaie d'expliquer la construction européenne au plus grand nombre. C'est aussi pour cela que j'ai créé EuroLucides, une chaîne YouTube de vulgarisation sur l'Union européenne.

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