La Turquie devient le sous-traitant des 28 en matière migratoire

Ce vendredi 18 mars, un accord entre l’Union Européenne (UE) et la Turquie a été trouvé. Celui-ci est censé mettre fin à la crise migratoire sans précédent qui secoue l’UE depuis plusieurs mois. Retour sur un accord qui ne fait pas l’unanimité chez les citoyens européens.

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Depuis l’été 2015, l’UE est confrontée à l’arrivée massive de migrants sur son sol. En effet, plus d’un million de migrants ont rejoint le continent européen, ce qui en fait la plus grosse crise migratoire du continent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Face à cette crise sans précédent dans l’histoire de l’UE, les contrôles aux frontières ont progressivement été rétablis sur les routes qui mènent en Allemagne, destination privilégiée des migrants.

Si les accords de Schengen offrent la possibilité aux États signataires de rétablir temporairement les contrôles aux frontières, cela fait néanmoins réfléchir à l’état actuel de l’idéal européen de libre circulation, principe fondateur de l’UE.

Une situation humanitaire alarmante.

Consécutivement au rétablissement des contrôles aux frontières, la route dite « des Balkans », empruntée par les réfugiés pour rejoindre l’Allemagne s’est retrouvée à la fin de l’hiver totalement fermée. Cette fermeture a agi comme un piège sur les migrants qui se sont trouvés bloqués en Grèce. Actuellement, 45000 migrants seraient coincés sur le sol grec. L’urgence humanitaire se fait pressante, d’autant plus que les moyens techniques dont dispose la Grèce sont fortement limités par une économie encore exsangue. C’est dans ce sens qu’un plan d’aide humanitaire a été annoncé par la Commission Européenne. D’abord prévu pour une envergure de 300 millions d’euros, d’autres hypothèses avancent le chiffre de 700 millions d’euros sur plusieurs années.

L’UE a été incapable depuis le début de la crise d’apporter une réponse commune qui aurait mis fin à cette crise. Pour preuve, le plan de répartition de 160 000 réfugiés voté en septembre 2015. Il n’a quasiment pas été mis en application par les États membres : en février 2016, seulement 500 migrants avaient pu en bénéficier.

C’est dans ce contexte d’incapacité à résoudre la crise et face à une urgence humanitaire de plus en plus pressante qu’est intervenu ce sommet UE-Turquie.

Le principe « un pour un » retenu.

L’accord trouvé ce vendredi 18 mars est basé sur le principe « un pour un » et sera appliqué dès le dimanche 20 mars à minuit. Selon ce principe, chaque migrant arrivé illégalement en Grèce sera renvoyé vers la Turquie. Pour chaque migrant syrien ré-admis en Turquie, un autre syrien provenant d’un camp de réfugié situé à la frontière syrienne sera ré-installé en Europe. Ce principe est censé décourager les migrants à passer en Grèce et à mieux maitriser le flux d’entrées dans l’UE.

En contre-partie, la Turquie a obtenu de l’UE une aide de trois milliards d’euros pour financer les infrastructures nécessaires à l’accueil des migrants. Cette somme s’ajoute aux trois milliards déjà promis en fin d’année 2015. En plus de ces avantages pécuniaires, la Turquie va bénéficier d’ici juin 2016 d’une libéralisation des visas, dans le but de faciliter la circulation des ressortissants turcs sur le territoire européen. Cette libéralisation est conditionnée par 72 critères de sécurité, notamment pour les passeports. La Turquie n’en remplit que 10 pour l’instant.

Vers une adhésion de la Turquie à l’UE?

La dernière contre-partie qu’a demandée, et obtenue, la Turquie est la ré-ouverture des négociations pour le processus d’adhésion. Le pays a officiellement déposé sa candidature en 1987. Depuis, 15 chapitres ont été ouverts. Un seul a été clos : celui portant sur la science et la recherche. Il en reste donc 34 à valider. Durant les négociations, Chypre a menacé de ne pas voter en faveur de l’accord. En effet, depuis 1974 le nord de l’île est occupé  par la Turquie. Finalement, face à l’infime probabilité que la Turquie adhère à l’UE, le pays ne s’est finalement pas opposé à l’accord. La Turquie ne reconnait pas le gouvernement chypriote, lui-même favorable à la réunification de l’île. Dans ces conditions, il parait difficile d’imaginer la Turquie adhérer à l’UE.

Le 5 mars dernier, le principal journal d’opposition de Turquie, Zaman, a été placé sous contrôle judiciaire. Cet épisode ne fait que renforcer la tendance autoritaire qu’a pris la Turquie depuis l’accession au pouvoir du Président Erdogan en 2014. Finalement, l’UE paye au prix fort son incapacité à trouver une solution pérenne face à la crise. Les ressentiments sont nombreux. L’Union Européenne, qui met un point d’orgue à défendre les Droits de l’Homme, est aujourd’hui contrainte de passer des accords avec des pays où ces droits sont régulièrement bafoués.

Pour approfondir: 

European Council conclusions, 17-18 March 2016

 

Maxime Souillard

Maxime Souillard

Ancien Président d'Eurosorbonne (2016-2017), j'ai un intérêt particulier pour les questions économiques et politiques en Europe du Sud et plus spécifiquement en Grèce.

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