Que s’est-il passé en Europe cette semaine ? (31.12 – 06.01)

Corentin Gorin, Orban

Manifestations en Hongrie, frondes des maires italiens contre Matteo Salvini, l’Irlande et le Royaume-Uni se préparent à un “No-deal”, Google optimise toujours ses milliards et attaque informatique en Allemagne : les actualités européennes de la semaine.

Hongrie – Le ton monte, une grève générale est possible

Nous vous en parlions déjà le 17 décembre : le gouvernement de Viktor Orban fait face à une importante mobilisation contre la réforme du droit du travail, aussi appelée « loi esclavagiste » par l’opposition, les syndicats et les ONG. Ce texte prévoit notamment d’augmenter à 400 heures le nombre d’heures supplémentaires qu’un employeur pourrait demander à ses employés sur un an, avec la possibilité de les payer trois ans plus tard. Pour Orban, il s’agit simplement de « supprimer les régulations inutiles, pour que ceux qui veulent gagner plus puissent travailler plus », une formulation qui sonnera d’un air familier aux oreilles françaises.

Samedi 5 janvier, plusieurs milliers de personnes ont donc défilé dans les rues de Budapest, la capitale. Mais, chose rare, des manifestations ont aussi lieu dans le reste du pays depuis le début de la contestation. De plus, l’opposition fait bloc face au gouvernement, alors qu’elle était auparavant divisée. Cette nouvelle alliance est rejointe par différentes ONG et par de nombreux syndicats. Outre la fronde contre la « loi esclavagiste », l’opposition appelle aussi à l’indépendance des médias et de la justice : au-delà de la réforme du droit du travail, c’est bien la remise en cause de l’État de droit que mène Orban qui est attaquée. Selon Euronews, les syndicats d’enseignants, d’étudiants et de travailleurs menacent d’une grève générale d’ici une dizaine de jours si le gouvernement ne change pas la loi. De quoi accroître encore davantage la pression sur le Premier ministre.

Italie – La fronde des maires contre le décret anti-immigration de Matteo Salvini

C’est un retour de flamme inattendu pour Matteo Salvini : alors que le ministre de l’Intérieur a récemment fait passer un décret-loi anti-immigration, réjouissant son électorat, il doit faire face à la fronde inédite de plusieurs maires de grandes villes du pays. Le texte empêche les mairies de délivrer une carte d’identité et interdit aux demandeurs d’asile de s’inscrire comme résidents de leur commune. La conséquence est simple : les demandeurs d’asile n’ont plus accès aux services sociaux et sanitaires de base. 120 000 d’entre eux, en attente d’une décision judiciaire, se retrouvent donc à la rue et exclus du système. Leoluca Orlando, maire de Palerme, a déclaré « On ne peut pas enlever des droits à des citoyens en règle avec la loi, simplement pour faire passer pour de la sécurité une intervention qui pue la loi raciale ». Il a aussi suspendu l’application du décret « pour ce qui relève des compétences des communes ».

Les maires de Naples, Florence, Milan et d’autres villes majeures dénoncent un texte raciste et criminogène : sans assistance, les demandeurs d’asile deviennent de la main-d’œuvre pour le crime organisé, qui pourra profiter de leur grande précarité pour les exploiter. Mais là où la fronde prend une importance encore plus grande, c’est qu’elle ne rassemble pas que des maires de gauches. Federico Pizzarotti, dissident du Mouvement 5 Etoiles (M5S) et maire de Parme, a emboîté le pas d’Orlando. La puissante association des maires italiens (Anci) a également fait savoir sa préoccupation, et le président du Conseil Giuseppe Conte doit la rencontrer prochainement, un désaveu pour Salvini. Ce décret met un peu plus à mal l’équilibre du gouvernement de coalition entre la Ligue de Salvini et le M5S, qui doit ménager son aile gauche.

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Brexit – La police nord-irlandaise se prépare à un “No-deal”

Alors que le Royaume-Uni doit quitter l’Union européenne dans à peine plus de deux mois, Theresa May essaye toujours d’obtenir le soutien des parlementaires pour faire voter l’accord de sortie négocié avec l’UE. Un premier vote prévu en décembre avait été repoussé au dernier moment, alors que la Première ministre faisait face à une forte opposition venant en partie de son propre camp. Interviewée ce dimanche par la BBC, May a confirmé la tenue du vote la semaine prochaine. Les Européens refusent absolument de revenir sur l’accord, et l’issue du vote est plus qu’incertaine.

Ce qui est sûr en revanche, c’est que l’Europe et le Royaume-Uni se préparent autant pour le scénario d’une sortie encadrée par un accord que pour le scénario d’un « No-deal ». Le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, déclarait jeudi 3 janvier qu’il avait «renoncé à spéculer » sur la question de savoir s’il y aurait un accord ou non, mais que l’Irlande intensifiait ses préparatifs pour faire face à une sortie « no-deal ».

Vendredi, le quotidien britannique The Guardian révélait que la direction de la police nord-irlandaise avait réclamé des renforts en cas d’un Brexit sans accord. Un millier de policiers anglais et écossais vont donc suivre un entraînement spécial pour être prêt à intervenir dans le cas où une frontière physique devrait être rétablie en urgence. La question de la frontière est le point le plus chaud des négociations sur le Brexit. Son rétablissement fragiliserait grandement l’accord de paix conclu en avril 1998, qui avait mis un terme à trente ans de conflits en Irlande du Nord.

Optimisation fiscale – Google a transféré près de 20 milliards d’euros de bénéfices aux Bermudes en 2017

Tout est dans le titre : Google continue tranquillement ses pratiques d’optimisation fiscale en Europe, évitant ainsi de payer des milliards d’euros d’impôts. En 2017, la multinationale a donc transféré 19,9 milliards d’euros de ses bénéfices réalisés hors des États-Unis aux Bermudes, selon des documents obtenus par la Chambre de commerce néerlandaise. Ce montant était de 12 milliards en 2014, de 15,5 milliards en 2015 et de 15,9 milliards en 2016 : une impressionnante montée en puissance.

Google rappelle, comme à chaque fois, que ces pratiques n’ont rien d’illégales… pour l’instant. La technique est simple : Google fait passer les revenus d’une filiale irlandaise (son siège européen est à Dublin) à une entreprise néerlandaise n’employant personne, qui les renvoie ensuite vers la boîte aux lettres d’une autre société irlandaise enregistrée aux Bermudes, paradis fiscal bien connu. Comme le rappelle Le Monde, si ces profits avaient été imposés en Irlande, à hauteur du taux normal irlandais de 12,5 %, Google aurait du payer 2,5 milliards d’euros.

Mais ce montage, rendu possible par une faille volontairement introduite par l’Irlande dans sa législation, deviendra illégal en 2020. Toutefois, cela ne fera que boucher un trou, et il est probable que Google change simplement sa stratégie d’optimisation fiscale dans les années à venir. Pendant ce temps, les Européens vont continuer d’essayer de se mettre d’accord sur une taxe spécifique commune pour compenser l’optimisation fiscale des GAFA. Pour l’instant, les discussions sont au point mort.

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Allemagne – Attaque informatique d’ampleur contre des responsables politiques et des personnalités publiques

La télévision publique allemande RBB a révélé, vendredi 4 janvier, que des milliers de documents confidentiels et de données personnelles de responsables politiques et de personnalités du monde de la culture avaient été mis en ligne courant décembre. C’est le député social-démocrate Martin Schulz qui a lancé l’alerte, après avoir été prévenu par un jeune homme qui avait trouvé son numéro de téléphone sur Internet. Parmi les données divulguées se trouvaient, pêle-mêle, des photocopies de papiers d’identité, des numéros de téléphones, des échanges internes aux différents partis des photos, des adresses, des numéros de compte… Ces documents ont été diffusés entre le 1er et le 28 décembre par un compte Twitter anonyme. La nature hétérogène des documents suggèrent qu’ils sont le fruit de plusieurs piratages différents.

Une porte-parole du gouvernement fédéral a déclaré que cette fuite de documents piratés avait touché des « responsables politiques de tous niveaux » : élus régionaux, communaux, membres du gouvernement, députés européens, et même la chancelière Angela Merkel et le président Frank-Walter Steinmeier. Le Monde relate aussi que nombre de personnalités des médias et de la culture, plutôt engagées à gauche, ont été touchées.

Ce n’est pas la première fois que l’Allemagne est ciblée par une cyberattaque de grande ampleur : en mars 2018, plusieurs ministères avaient fait l’objet d’une importante campagne de cyberattaques. Le Bundestag avait été visé en 2015. A chaque fois, les regards s’étaient portés vers la Russie. Son implication potentielle a encore une fois été soulevée ici, mais non étayée. Le fait que l’extrême-droite ait été la seule épargnée laisse aussi planer le doute sur une possible responsabilité de sa part. Cependant, les attaques informatiques sont extrêmement difficiles à attribuer de manière sûre et certaine.

Nezim Tandjaoui

Rédacteur en chef,
souvent en train d'essayer d'écrire.

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