Union européenne – Union africaine : « Si tu veux aller vite, marche seul mais si tu veux aller loin, marchons ensemble »

Dans les mois à venir, l’accent sera mis sur les intérêts communs de deux continents voisins : l’Europe et l’Afrique. Le nouvel enjeu consiste à bâtir un partenariat avantageux pour les deux parties en allant au-delà de l’immigration sensu stricto. Cette nouvelle stratégie va être élaborée dans un contexte de changements profonds au sein de l’UE et l’UA.

Quand on évoque la coopération européano-africaine, on pense dans la plupart des cas à l’immigration. Le discours du 7 novembre de la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Federica Mogherini, à l’occasion de la « Semaine africaine » organisée par le groupe d’eurodéputés socialistes S&D au Parlement européen, indique une volonté des acteurs européens de donner un nouvel élan aux relations avec l’Afrique. Elle souhaite effectivement attirer l’attention sur la coopération économique et commerciale et sur les causes profondes de l’immigration : « Ce que j’entends par causes profondes de la migration, c’est la répartition inégale des richesses et des ressources dans le monde. Et aussi les conflits et les crises, dont beaucoup sont causés exactement par ces inégalités et la distribution inégale des ressources ». Le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l’état de l’Union, prononcé le mercredi 12 septembre devant le Parlement, avait promis d’établir « un nouveau partenariat d’égal à égal » avec le continent africain qui impliquera une garantie de l’intérêt commun, y compris dans les questions migratoires. S’agit-il d’une simple velléité ou d’une volte-face réelle ?

Les années 2018 et 2019 sont cruciales pour l’UE et l’Union africaine (UA) et peuvent changer radicalement la nature de leurs relations. L’UA a été fondée en 2002, succédant ainsi à l’Organisation de l’unité africaine (OUA), et regroupe à l’heure actuelle 55 membres. L’UE et l’UA qui coopèrent ensemble, doivent maintenant faire face à une série de décisions architecturales au sein de chacune des deux organisations.

L’ère de la transformation

Le Cadre financier pluriannuel actuel pour la période 2014-2020 attribuera au total 31 milliards d’euros au développement du continent africain. La première question, qui se pose et qui fait partie inhérente au nouveau budget européen, est la suivante : l’UE est-elle en mesure de tenir ses engagements envers l’Afrique ? En ces temps d’incertitudes qui régissent la quasi-totalité des stratégies internationales, l’UE cherche à renforcer son impact global. Par conséquent, selon les premières prévisions dévoilées en mai 2018, l’action extérieure de l’UE verra ses enveloppes augmenter de 30% dans le prochain Cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 par rapport au CFP actuel. L’UE post-2020 s’engage à soutenir le développement, la croissance économique inclusive ainsi que les initiatives en matière de sécurité et de paix menées par l’Afrique. Toujours dans cette optique, l’UE souhaite renforcer les relations avec l’Union africaine qui s’inscrivent au dialogue régulier dans le cadre de la Stratégie conjointe UE-Afrique (JEAS) adoptée lors du deuxième sommet UE-Afrique à Lisbonne, en 2007. Basé sur la proximité géographique et la similitude historique, la JEAS est censée établir un modèle phare de la coopération entre les deux continents, allant au-delà des relations donateur-bénéficiaire car cherchant à renforcer les relations économiques et le développement durable à travers la paix et la sécurité.

Côté Afrique, les dirigeants ne restent pas immobiles face aux bousculements continentaux. Le président de l’Union africaine pour l’année 2018, le Rwandais Paul Kagame, a exprimé son souhait d’arriver à assurer l’autosuffisance financière de l’organisation internationale. Il rompt ainsi avec la politique de ses prédécesseurs. L’UA, souhaitant dépoussiérer son image de dépendante des bailleurs de fonds internationaux comme l’Union européenne, introduit les premières grandes mesures institutionnelles allant dans ce sens. Il convient de rappeler qu’en 2012, les États membres de l’Union africaine n’ont financé que 3% de ses programmes. À l’occasion du 30e sommet de l’UA fin janvier, les États membres ont adopté une taxe de 0,2% sur les produits non africains importés en Afrique. Cette mesure permettrait de tirer des fonds de près de 970 millions d’euros, et de financer la plupart des programmes de l’organisation. En 2018, la contribution nationale de chaque État membre de l’UA s’élève à 40% du budget de l’organisation. M. Kagame a aussi pour but de dynamiser l’instauration de la zone de libre-échange continentale africaine. Ce processus est jugé plus compliqué à mettre en place étant donné que les économies du continent ne sont pas suffisamment diversifiées. Les acteurs africains se sont mis également à battre en brèche la corruption, si répandue sur ce continent.

Des solutions en matière de sécurité à long-terme

Toutes ces réformes institutionnelles et financières, bien que vitales, ne doivent pas faire oublier l’objectif toujours central entre les deux unions : la résolution et la prévention des conflits. À cet égard, il y a eu des prémices assez positives. Le Président de la Commission de l’UA Moussa Faki Mahamat, ancien chef de la diplomatie tchadienne, maîtrisant les dossiers sécuritaires et sur la lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne, a clairement mis l’accent sur la paix et la sécurité depuis qu’il a pris ses fonctions en mars 2017.

À cet égard, le rôle de l’UA et celui de l’UE a été mis sur un pied d’égalité. Cela a été souligné à Bruxelles le 23 octobre, où a eu lieu pour la 11ème fois la Réunion consultative conjointe annuelle sur la paix et la sécurité entre Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine et le Comité politique et de sécurité (COPS) de l’Union européenne. Cette réunion a bien démontré que l’UE et l’UA sont activement engagées dans le domaine sécuritaire, qui n’est pas restreint aux solutions migratoires puisque dans le communiqué de presse le mot « migration » n’a été même pas évoqué. L’Afrique demeure un grand contributeur à la paix et à la sécurité. Chaque effort des pays africains pour prendre en charge leur propre sécurité est bien vu par l’UE et l’UA. Lors de cette réunion, ils ont salué les actions de la force conjointe du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) étant donné que cette région est particulièrement exposée à la montée de la menace terroriste et du crime organisé. Les deux Unions soutiennent la bonne tenue de nombreuses élections ayant lieu en 2018 en Afrique comme celles présidentielles en République démocratique du Congo. L’engagement de l’UA a encouragé le Président actuel Joseph Kabila, en poste depuis 2001, de ne pas se présenter lors du scrutin prochain. Néanmoins, les deux organisations internationales sont conscientes que les scrutins peuvent potentiellement déclencher de nouvelles crises politiques et des violences. Le cas centrafricain en la matière démontre nettement un fiasco de la transition démocratique. En effet, le seul fait que son dirigeant Faustin Archange Touadéra ait été démocratiquement élu en février 2016 n’est pas en soi une garantie du maintien d’une paix durable. Ainsi, plus de la moitié de la population ne survit que grâce à l’aide humanitaire. Une grande partie du pays est sous la domination des groupes armés qui rivalisent pour les ressources. Cela explique aussi une réticence du CPS de l’UA et du COPS de l’UE envers le nouvel accord du partage du pouvoir entre le président sud-soudanais Salva Kiir et son opposant le chef rebelle Riek Machar signé le 12 septembre. En effet, le CPS de l’UA et le COPS de l’UE conseillent à l’IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement), l’organisation régionale ouvrant le processus de la paix au Soudan du Sud, de maintenir la coopération étroite avec l’UA afin d’assurer le respect des engagements pris par les parties de l’accord et que « les éléments perturbateurs aient à répondre de leurs actes ».

La mobilité, le libre-échange, les PME

La promotion de la démocratie libérale se focalise sur les élections, assurant le droit de vote, la séparation des pouvoirs et la liberté de s’organiser, qui est considérée comme le seul chemin à suivre pour les pays africains. Les dernières expériences africaines démontrent que la démocratie n’est pas le moyen le plus efficace dans la résolution de conflits. Présentement, l’Union européenne cherche à s’engager davantage dans les questions socio-économiques. Connaissant la plus grande croissance démographique du monde, la jeune génération africaine est placée au cœur des relations européano-africaines. Faisant référence au discours du Président de la Commission européenne du 12 septembre évoqué au début de l’article, il est prévu d’accroître les échanges dans le cadre du programme Erasmus+. Selon les premières prévisions, « quelques 35 000 d’étudiants et de chercheurs auront bénéficié de ces échanges d’ici à 2020, mais on peut tripler ce nombre d’ici à 2027 ». Sur le plan économique, les deux Unions souhaitent mettre en œuvre un jour un accord de libre-échange intercontinental global. L’UE souligne également l’importance de renforcer le climat d’investissements en Afrique et de mobiliser le secteur privé dont les petites et moyennes entreprises devraient être particulièrement ciblées.

Toutes les réformes précitées permettent à l’Union africaine de gagner de confiance de la part des autres acteurs mondiaux. C’est ainsi que l’UA jouera un rôle important dans le partenariat Cotonou post-2020 régissant les relations de l’Union européenne avec les pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP-UE). Le Conseil exécutif de l’UA a déjà adopté une position commune aux fins de la renégociation dudit accord avec l’UE. En effet, il a constaté qu’il est temps pour l’Afrique de prendre en main son destin par le biais d’un accord de libre-échange de continent à continent, en dehors du partenariat ACP-EU. Partant de là, la coopération entre l’UE et l’Afrique ne doit plus être perçue comme étant limitée à la gestion des flux migratoires mais plutôt comme une réalisation d’un fameux proverbe africain « si tu veux aller vite, marche seul mais si tu veux aller loin, marchons ensemble ».

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