Emmanuel Macron à la Sorbonne : on y était !

Dans une déclaration qu’il voulait fondatrice sur l’Europe, Emmanuel Macron s’est présenté hier devant un parterre d’étudiants parisiens et plusieurs personnalités politiques françaises et européennes dans l’enceinte du Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Abordant presque tous les grands sujets clefs, le Président français a prononcé un discours optimiste, salué chaleureusement à Bruxelles, un peu plus timidement à Berlin. Eurosorbonne y était, retour en quelques points sur presque deux heures de discours.

Une défense et un renseignement européen ?

Dans un passage remarqué consacré à la défense européenne, question de plus en plus débattue, Emmanuel Macron a mis en garde les Européens sur la nécessité de se munir de capacité de défense autonome, en particulier devant le désengagement annoncé des États-Unis. Désireux, tout au long de son discours, d’avancer sur des sujets précis, M. Macron a confirmé les propos qu’il a souvent tenu en tant que président mais aussi avant comme candidat en souhaitant agir via des “coopérations permanentes renforcées” afin de contourner les exigences d’unanimité. Dans un discours que certains qualifieront de fédéralistes, Emmanuel Macron a fait une annonce remarquée, à valeur de moteur, en expliquant vouloir accueillir des militaires européens dans l’armée française.

Toujours dans le cadre d’une plus grande coopération entre État, le Président français a remis sur le devant de la scène “l’Agence européenne du renseignement”. Une tentative de réponse au manque de transmission de certaines informations entre services de renseignement européens.

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La création d’un “office européen de l’asile”

Si Emmanuel Macron lie dans son allocution questions sécuritaires et crise migratoire, c’est bien parce que les deux questions qui divisent les Européens autant que les Français sont à prendre (et à comprendre) en corrélation. Pour le Président de la République, la crise migratoire n’est pas une crise mais plutôt un défi à la durée indéterminée. L’entraide entre pays deviendrait le seul moyen de palier à ce défi migratoire.

Parmi ses propositions pour faire face à ce défi, figurent un office européen de l’asile permettant entre autre un système où tous les fichiers biométriques seraient centralisés à l’échelle européenne ; une police des frontières européenne garantissant une protection et une gestion des frontières ; et un programme européen de formation et d’intégration pour les réfugiés. Le point culminant de cette question migratoire est évidemment la Méditerranée. Pour Macron, il n’est plus envisageable de voir l’Afrique comme un ennemi menaçant. L’Afrique est le partenaire d’un futur commun et meilleur. Pour consolider ce partenariat, le Président propose de renforcer le montant de l’aide publique au développement, et ce au niveau européen.

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La France souhaite une “Europe numérique”

Dans son discours de la Sorbonne, Emmanuel Macron rejoint l’ambition de Jean-Claude Juncker et la Commission européenne d’instaurer un marché unique du numérique. Décidé à appuyer la transition vers une « Europe numérique », il propose donc la création d’une « Agence européenne pour l’innovation de rupture » pour lutter contre les déséquilibres liés à la révolution numérique avec comme mots-clés « innovation » et « régulation ». En faveur d’une Europe novatrice dans le numérique capable de rivaliser avec les États-Unis et la Chine, il se saisit de l’occasion numérique pour lancer une chasse aux « talents » et soumet des pistes de réflexion concernant entre autres une taxation des plateformes numériques, la protection des libertés intellectuelles et les droits d’auteur.

Vers un modèle social commun

Le Président a affirmé son ambition de créer un nouveau modèle social commun basé sur l’union et la solidarité. Ainsi, dès le mois de novembre, il entend définir avec la communauté européenne les caractéristiques de « ce socle social européen ». Il propose qu’il soit construit par la convergence de la refonte des modèles sociaux nationaux. Parmi les mesures qu’il souhaite voir préfigurées, un salaire minimum dans tous les pays européens, qui correspondrait dans un premier temps aux possibilités économiques internes. L’idée serait à terme, de faire converger ces salaires minimums nationaux pour en créer un qui soit uniformisé à l’Europe dans son ensemble. Il en irait de même pour le taux de cotisations sociales. Il préconise d’ailleurs de mettre en place un taux maximal pour les travailleurs détachés afin d’alimenter en partie un fond de solidarité de développement.

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Coopération entre les États : la géométrie variable en état de grâce

Parmi la série de thématiques abordées par le président de la République dans son allocution, la coopération entre les États membres apparaît comme un enjeu majeur. En effet, outil nécessaire au bon accomplissement des réformes envisagées au niveau communautaire, sa mise en œuvre plane sur tous les sujets. A plusieurs reprises, pragmatique, le chef de l’État a surtout vanté l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses, avec la volonté de dépasser les freins étatiques, « d’aller plus vite et plus loin » avec les pays qui le désirent. Autrement appelée « Europe à géométrie variable », cette possibilité offerte par les traités a déjà notamment abouti à des différenciations importantes (zone euro, Schengen) ou dans le cadre des coopérations renforcées. Si le président n’a pas évoqué les contours formels et juridiques que prendra cette volonté de renouer avec la notion d’avant-garde européenne, l’on subodore que la coopération renforcée, peu utilisée jusque-là, le soit davantage dans le futur pour avancer sur le fond et passer outre la polarité dans l’Union.

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L’Europe modèle du développement durable

Dans le premier point de son discours pour la souveraineté européenne c’est-à-dire celui de la défense, E. Macron évoquait déjà la question climatique qui menace notre sécurité. Pour se faire, était proposée une force de sécurité civile permettant de répondre aux catastrophes naturelles, récurrentes ces derniers mois (ouragans, séismes, inondations). Mais la question climatique ne peut-être introduite sans la présence du développement durable et d’une transition écologique forte.

L’Europe doit faire du développement durable son fer de lance. En effet, pour le Président il est évident que « L’Europe doit être à l’avant-garde de la transition écologique ». Cette transition impose un marché européen de l’énergie viable et interconnecté, sans oublier un pied d’égalité avec les industries concurrentes n’ayant pas les mêmes normes écologiques. La question de la taxe carbone devient donc ici primordial. 

Une taxe carbone aux frontières

Lors de son discours, le Président de la République a affirmé vouloir que l’Europe soit un exemple pour la transition écologique. Pour répondre à cette nécessité, une taxe carbone aux frontières serait une garantie d’un marché unifié. Cette taxe doit protéger les industriels exposés à la mondialisation, soucieux de leur impact écologique mais concurrencés par d’autres qui ne partagent pas ces exigences. Cependant, la taxe carbone aux frontières doit être fixée à un prix suffisamment élevé, entre 25 euros et 30 euros la tonne, pour avoir un impact sur les industries importatrices polluantes.

Europe : puissance économique et monétaire

Concernant l’aspect le plus abouti de l’Union européenne, à savoir l’économique et le monétaire, Macron soumet quelques suggestions pour conserver (ou retrouver) la prospérité économique européenne. La zone euro, doit se doter d’un budget permettant de financer des investissements communs, assurant ainsi la stabilisation face aux éventuels chocs économiques. L’enjeu fondamental de l’Europe, selon le Président de la République n’est pas de trouver un mécanisme magique résolvant tous nos problèmes mais plutôt de savoir avant tout comment résoudre nos problèmes actuels.

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Pour cela, la stabilité est nécessaire et primordiale et elle passe par la coordination des politiques économiques et un budget commun européen. Emmanuel Macron l’a rappelé : « Un État ne peut pas faire face à une crise seul, lorsqu’il ne gère plus sa politique monétaire ». Ainsi, seule la zone euro semble pouvoir offrir à l’Europe une puissance économique mondiale. C’est pour cette raison qu’elle se doit d’être forte, efficace, et surtout solidaire selon les mots de M. Macron.

Relancer une taxe européenne sur les transactions financières

La volonté du président français de relancer le projet de taxe sur les transactions financières (TTF) au niveau européen constituait l’une des surprises de ce discours. Discuté depuis 2011, d’abord à 28, puis, faute de consensus, dans le cadre d’une coopération renforcée à 10 États, le projet semblait jusque-là au point mort. Avec une assiette très large, et en copiant le modèle français ou britannique, comme le propose Emmanuel Macron, cette taxe servirait intégralement à financer l’aide publique au développement de l’Union européenne. L’avenir dira si l’impulsion nouvelle donnée par le chef de l’État permettra de transformer cette vieille antenne du débat européen en avancée concrète.

Une évolution de la politique agricole commune 

Le Président de la République s’est aussi exprimé sur l’évolution possible de la politique agricole commune (PAC), abordant trois axes de réflexion. La PAC devrait ainsi devenir un réel instrument pour accompagner la transformation vers une agriculture plus responsable. De plus, sa forme actuelle n’offrirait pas de protection suffisante aux agriculteurs, sujets aux aléas des marchés mondiaux. Cette mise en péril de leur production peut avoir des conséquences sur la « souveraineté alimentaire » de l’Union Européenne a mis en garde le Président. Une réflexion au niveau régional permettrait de donner plus de sens à cette politique et d’accompagner les filières tout en allégeant significativement son administration. Enfin, pour protéger les consommateurs face aux crises alimentaires telles que celle concernant les œufs, l’accent doit être mis sur le volet scientifique et non découler de débats politiques. Des réponses à la dangerosité de substances chimiques controversées peuvent ainsi être trouvées et des alternatives peuvent être proposées.

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Un renforcement du moteur franco-allemand

Emmanuel Macron a tenu à rappeler le lien entre la France et l’Allemagne en saluant de prime abord la réélection d’Angela Merkel à la Chancellerie allemande, dimanche 24 septembre. Il a également regretté le score de l’AfD, parti europhobe et islamophobe qui a fait une percée historique au Bundestag. Emmanuel Macron a longuement mis en garde l’auditoire sur les sursauts identitaires et les replis nationalistes. Il a loué une vision pragmatique, généreuse, “historique”, selon lui, de la politique européenne d’Angela Merkel, en particulier en ce qui concerne l’accueil et l’intégration des migrants, dont il souhaite s’inspirer. Le Président de la République a affirmé vouloir renforcer le moteur franco-allemand, en abordant toutes les questions européennes en concertation avec Berlin, avant de prendre position. Une initiative bilatérale qu’il appelait déjà de ses voeux avant les élections de dimanche dernier.

Elena Blum, Clara Coquart, Corentin Gorin, Morgane Labbé, Kévin Martin, Elise Medina, Josselin Petit, Aude Porchet

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