Duel au PPE : qui d’Alexander Stubb ou de Manfred Weber pour emmener la droite aux européennes ?

À J-225, Eurosorbonne lance sa rubrique dédiée aux élections européennes de 2019. Au programme : décryptage des enjeux, portraits des grandes figures de l’élection et suivi de l’actualité. Aujourd’hui, focus sur Alexander Stubb et Manfred Weber, qui se battront pour diriger la liste du PPE.

Deux candidats se font désormais la course pour remporter la tête de liste de la droite européenne, représentée par le Parti populaire européen. L’heureux élu sera désigné par ses pairs au congrès d’Helsinki du PPE le mois prochain, et l’enjeu est de taille : cette élection fera de lui le Spitzenkandidat de sa famille politique. Derrière ce terme emprunté à la langue de Goethe se cache un principe simple : le Spitzenkandidat du parti politique arrivé en tête aux élections doit être désigné président de la Commission européenne. Il faut toutefois noter que ce système, utilisé dans les faits en 2014 pour désigner Jean-Claude Juncker, n’est pas automatique : les chefs d’État et de gouvernement réunis au Conseil européen sont libres de désigner la personnalité qu’ils veulent, en « tenant compte » du résultat des élections, ce qui ne les oblige à rien.

Le PPE fait aujourd’hui face à un certain nombre de défis, et apparaît divisé. Affaibli par la montée des droites eurosceptiques et europhobes, il s’est déchiré en septembre dernier sur la question de l’activation de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne contre la Hongrie. D’autres candidats potentiels ont jusqu’au 17 octobre à midi pour se déclarer. Michel Barnier, en charge des négociations du Brexit et pressenti pendant un temps, a exclu de se présenter pour cause de calendrier trop serré.

Alexander Stubb, l’outsider optimiste

Alors qu’il jouera à domicile à Helsinki lors du congrès du PPE, Alexander Stubb fait figure d’outsider. Le Finlandais, tout juste quinquagénaire, en est conscient et n’hésite pas à en jouer : « Je viens d’un petit pays. Mon équipe est très réduite. Mais je l’ai déjà fait, et qui sait, peut-être… » Celui que la presse internationale n’hésite pas à renommer l’« Ironman des politiques européens » – du nom de cette compétition d’endurance extrême, affectionnée par Stubb – aura en effet besoin d’une sacrée dose d’énergie pour réussir à rassembler derrière sa candidature.

Actuellement vice-président de la Banque européenne d’investissement, Stubb n’est pas une figure de premier plan de l’establishment européen. Il peut pourtant se targuer d’une forte expérience politique dans son pays. Prenez une grande inspiration, on résume : ministre des Affaires étrangères (2008-2011) puis ministre des Affaires européennes et du Commerce extérieur (2011-2014), il accède finalement au poste de Premier ministre pendant près d’un an, entre 2014 et 2015. Comme si cela ne lui suffisait pas, il rempile en tant que ministre des Finances jusqu’en 2016. Il fait alors partie d’un gouvernement de coalition dans lequel figure aussi le parti des Vrais Finlandais, eurosceptique, nationaliste et social-conservateur, généralement classé à l’extrême-droite. Selon Stubb, cette expérience de gouvernement lui a permis d’apprendre à contenir l’extrême-droite, une question cruciale pour le PPE d’aujourd’hui : Viktor Orbán reste la plus grosse épine dans le pied de la droite européenne.

Alexander Stubb se pose en défenseur d’une droite européenne libérale et cosmopolite, loin des rhétoriques eurosceptiques et anti-migrants en vogue en Italie, en Hongrie ou en Pologne. Celui qui aimerait bien accueillir Emmanuel Macron au sein du PPE est explicite sur sa volonté d’exclure Viktor Orbán du parti. Quant au fait d’y accueillir, éventuellement, la Ligue de Matteo Salvini ou le parti polonais Droit et Justice, son mot d’ordre est simple : « Il faudra me passer sur le corps ». Son programme politique reste très classique, et Stubb défend notamment une approche ferme et intransigeante sur les questions de l’immigration clandestine ainsi qu’une politique d’austérité budgétaire.

Lire aussi >>> Spitzenkandidat : l’ingrédient magique pour relancer les européennes ?

Manfred Weber, candidat d’un système divisé

On ne peut pas dire que Manfred Weber défende des politiques franchement opposées à celle d’Alexander Stubb. L’inverse est d’ailleurs tout aussi vrai. L’enjeu est ailleurs : sa candidature répond à une « forte logique interne », comme le note le média européen Bruxelles2. L’Allemand est le président du PPE au Parlement européen et fait aussi partie de l’Union chrétienne-sociale (CSU). Ce parti allemand, allié à son « parti-frère » de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), est la force politique la plus importante au sein du PPE. Il est ainsi présenté comme étant le candidat d’Angela Merkel.

A la tête du PPE, Manfred Weber s’est longtemps vu reprocher de trop ménager Orbán. Interrogé par Ouest-France en février dernier sur le fait que le PPE « [ratissait] large » en intégrant le chef de gouvernement hongrois, il répondait : « […] nous avons des convictions communes en matière de sécurité, de migrations, de questions commerciales. Nous avons beaucoup de débats avec Viktor Orbán. Je ne partage pas tout ce qu’il pense mais je constate qu’il respecte les règles fondamentales de l’UE. Je me bats pour l’Europe, or la seule alternative à son parti Fidesz, c’est l’extrême droite Jobbik. » Entre-temps, le PPE a majoritairement voté pour l’activation de l’article 7 contre la Hongrie et Weber a fait évoluer son discours, en votant lui aussi pour cette mesure. Fait intéressant, le reste des membres de la CSU au sein du PPE a voté contre. En effet, la CSU est en désaccord avec la politique migratoire d’Angela Merkel, membre de la CDU. Orbán sera présent au congrès d’Helsinki, et l’ambiance promet d’être glaciale.

Manfred Weber a donc la lourde tâche de rassembler un parti éclaté, plus divisé que jamais et en perte de vitesse, avec la montée des droites populistes et eurosceptiques. De plus, son profil n’en fait pas un candidat « naturel » à la tête de la Commission. Depuis Jacques Delors en 1985, tous les présidents de la Commission ont tenu des rôles de premier plan au sein des gouvernements de leur pays, ce qui n’est pas le cas de Weber. En outre, Manfred Weber ne parle pas français, ce qui est généralement un pré-requis pour un poste de ce niveau. Certains commentateurs, comme Emmanuel Berretta ou Jean Quatremer, s’interrogent aussi sur la pertinence d’une Commission européenne présidée par un Allemand, alors que l’Allemagne est déjà fortement représentée au sein des institutions européennes. Rendez-vous le 8 novembre pour connaître le candidat préféré par le PPE.

Lire aussi >>> Relancer l’Europe : dix idées pour demain

Crédits photo : Michael Lucan (Manfred Weber)/Magnus Fröderberg norden.org (Alexander Stubb)

Nezim Tandjaoui

Rédacteur en chef,
souvent en train d'essayer d'écrire.

Articles recommandés